23 octobre 2006
Devoir de mémoire khmer
La journée commence par une brève visite guidée du Palais Royal et de la Pagode d'Argent. Une architecture particulière. Un petit pavillon d'acier et de verre offert par Napoléon III et qui m'a inévitablement fait penser à la verrière Eiffel du lycée Carnot. Des bouddhas partout, en or, en bronze, en pierres précieuses, et des fresques hindouistes: le roi possède les deux religions. Dans un des pavillons qui composent le Palais royal, des présents sont disposés pour les moines bouddhistes qui aujourd'hui sortent d'une période de méditation de trois mois durant laquelle ils n'ont pas quitté leurs pagodes. De l'espace et du faste au milieu de Phnom Penh la misérable: c'est le Palais royal après tout...
Tuol Sleng et Choeung Ek. Deux noms qui ne parlent pas à beaucoup de monde... et pourtant! Ce sont les deux composantes de l'office S-21, marcabre organisation de la capitale pendant la période Khmer rouge.
Tuol Sleng est une ancienne école reconvertie en centre de torture en plein milieu de Phnom Penh. Des centaines de prisonniers étaient "interrogés". Sur les milliers qui sont passés par là, sept ont survécu. Sur les murs, des photos, des portraits de détenus: le maniaque directeur du centre a pris en photo chacun d'entre eux. La visite est émouvante et solennelle.
Choeung Ek, surnommé "The killing fields", est un camp d'extermination situé à une quinzaine de kilomètres de PP. Les victimes étaient amenées là par camion pour être exécutées sur le champ. 129 charniers. 8000 crânes empilés dans un stupa érigé en leur mémoire. Hommes, femmes, enfants. Sous le soleil déclinant, dans la campagne cambodgienne, l'endroit paraîtrait presque bucolique. Et c'est ça, l'horreur. Le petit fascicule fournit à l'entrée donne la liste des "Choses horribles à regarder", et suggère comme "activité à faire" de "prendre des photos de souvenir avec le personnel du musée" ou d'"acheter des souvenirs au petit magasin"...
J'ai longtemps hésité avant de prendre une photo des crânes. Par respect. Parce que je me suis demandé si c'était du voyeurisme morbide. Mais le devoir de mémoire doit l'emporter. Trop important devoir de mémoire auquel nous sommes plus concernés que les autres, même si a priori rien ne nous rattache au peuple cambodgien. L'unique et éternelle question: pourquoi? Aujourd"hui, les tortionnaires de l'époque ont entre 40 et 50 ans, et vivent tranquillement. Gamins à l'époque, ivres d'une violence qu'on leur avait inculquée. Peut-on reprendre une vie "normale" après tant d'horreur? Après avoir fracassé des enfants contre "l'arbre d'extermination"? Chacun de nous serait-il capable d'atrocités pareilles? Judee pense que le recueillement de chaque visiteur est un questionnement personnel sur le monstre potentiel en chacun de nous: "qu'aurais-je fait?" On ne regarde pas les autres visiteurs dans les yeux... Et on en revient toujours à ce triste postulat: l'homme est intrinsèquement mauvais. Pour un optimiste, c'est dur à admettre, mais le monde est submergé par la violence. Alors on n'y pense pas, on rêve, on s'évade, on tente d'y remédier de manière superficielle. Car comment changer la nature mauvaise de l'homme? C'est bien malheureux...
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